Rédacteur : Adao Delehelle
Dossier réalisé par : O.Boisard, B.Charles,
A.Delehelle, G.Pignolet et JY. Prado.
Depuis plus de trente ans, de nombreux projets ont vu le jour sans toujours aboutir. La grande richesse des études montre une chose : il n’y a pas une architecture idéale de voile solaire. La première partie de ce chapitre décrit la technologie des principaux éléments à considérer afin de réduire le champ des solutions possibles. La deuxième partie présente les trois principaux modes de déploiement conduisant à trois grandes familles d’architectures globales. La troisième partie détaille d’un point de vue fonctionnel les différents systèmes composant une voile solaire utilisée comme sonde d’exploration spatiale.
1 – Technologies et caractéristiques de performance
1.1 – Une impulsion spécifique infinie
Dans le cas des sondes spatiales classiques, à propulsion chimique, il est courant de comparer les performances de propulsion selon l’impulsion spécifique. Ce paramètre exprime le rapport entre la force de poussée et le débit de propergol utilisé.
La comparaison n’est plus possible dans le cas d’une voile solaire (le rapport serait infini, puisqu’elle ne consomme pas de propergol). Il est donc plus judicieux de faire appel à d’autres grandeurs, mesurant les performances propres à la propulsion photonique.
1.2 – Accélération caractéristique
Le paragraphe précédent établit l’expression de l’accélération d’un voilier solaire. Si celle-ci est calculée à partir de la puissance des radiations solaires à une distance 1 U.A, on obtient l’expression de l’accélération caractéristique suivante en mm/s2:
où η représente le coefficient de réflexion de la voile, et σ le rapport masse/surface en g/m2.
Il est alors possible de classer les voiliers solaires selon l’accélération théorique obtenue lorsqu’ils naviguent à la même distance du Soleil que la Terre.
1.3 – Masse superficielle spécifique
L’accélération établie plus haut, exprimée en g/m2, fait intervenir la densité surfacique. Celle-ci prend en compte sa masse totale, incluant son chargement. Il est intéressant de comparer les voiles solaires selon leurs masses superficielles indépendamment de la charge utile transportée. Le classement se base alors uniquement sur une performance technologique de propulsion. Cette masse superficielle spécifique s’exprime en fonction de la surface du voilier S et des masses de la voile et de sa structure porteuse (généralement les mâts).
Plus cette grandeur sera faible, plus le voilier sera considéré comme potentiellement performant.
1.4 – Rapport S/M
Le rapport inverse, surface sur masse totale, est couramment utilisé pour caractériser un voilier. Il est exprimé en m2/kg.
1.5 – Indice de légèreté
Une autre grandeur, indépendante de la localisation dans l’espace, peut être utilisée pour caractériser un voilier : son indice de légèreté – ou de luminosité (« lightness number »), caractérisant le rapport entre la force gravitationnelle solaire et la force due à la pression photonique.
Les deux forces dépendant de l’inverse du carré de la distance au soleil, cet indice est donc intrinsèquement associé au voilier et à sa technologie. Il dépend de la masse totale superficielle et peut s’exprimer sous la forme :
où σ* représente la masse superficielle critique pour laquelle la force d’attraction solaire est égale à la force photonique. Dans le cas d’une voile parfaitement réfléchissante, cette masse superficielle est de 1.53 g/m2 (critical sail loading parameter), soit un rapport S/M critique de 654 m2/kg.
Une voile dont le chargement total sera inférieur à σ* aura donc un indice supérieur à l’unité. Cependant la technologie actuelle permet d’atteindre des masses superficielles de l’ordre de 20 g/m2 (soit un rapport S/M d’environ 50 m2/kg).
2 – Critères et contraintes technologiques
2.1 – Maximiser le rapport S/M
L’accélération caractéristique d’une voile est directement proportionnelle à son indice de légèreté :
Maximiser le rapport S/M et l’indice de réflexion de la voile sont donc les deux objectifs primordiaux dans la conception d’un voilier solaire.
Il s’agira de concevoir une voile ayant un pouvoir de réflexion aussi élevé que possible, la surface plus grande possible, la plus légère possible, avec une charge utile la plus petite possible…
Afin notamment de minimiser la densité massique de la voile, des films d’une épaisseur inférieure à 10 microns pourront être utilisés (ex. : un film de polyimide de 7 micron et demi pour la voile japonaise Ikaros).
L’indice de réflexion global dépendra d’une part de qualité intrinsèque du matériau utilisé, et d’autre part de la planéité de la voile.
2.2 – Contraintes techniques
La conception de la voile doit prendre en compte différents types de contraintes, en particulier :
-Les contraintes thermiques : supporter de fortes variations de température (de +150°C en plein soleil à -160°C dans l’ombre d’une planète).
-Les contraintes mécaniques : rigidifier une voile de très grande taille pour une épaisseur inférieure à une dizaine de microns (par des mats, par des structures gonflables, par rotation…) ; contenir les micro-déchirures résultant de l’impact de micrométéorites, ou de la fragilisation de « points-multiples » lors du pliage de la voile ; amortir les éventuelles résonnances de la structure ; …
-L’effet des radiations : prendre en compte les effets des rayonnements, notamment sur la stabilité à long terme du matériau composant la voile (effet des rayonnements sur les macromolécules),
-Les contrainte de confinement et de déploiement de la voile : pour un lancement depuis la Terre, prendre en compte les capacités maximales des lanceurs actuels – ex. : cylindre moyen de 2,6 m maximum de diamètre et d’une hauteur maximale de 4,4 m (Ariane 5, Sylda 5), pour une masse maximale de 4,5 tonnes – et concevoir des techniques fiables de pliage puis de dépliage de la voile.
3 – Technologie pour les matériaux de la voile
La voile est généralement constituée de trois couches : un substrat polymère sur lequel sont déposés deux couches métallisées assurant la réflexion de la lumière et l’évacuation de la chaleur absorbée.
3.1 – Substrat
Le substrat assure la résistance aux contraintes mécaniques. Des films de type Mylar Polyester ou Kapton Polyimide sont les solutions les plus souvent envisagées.
Le Mylar possède de bonnes propriétés mécaniques et une température de fusion supérieure à 250°C. Les épaisseurs commercialisées atteignent 0.5 µm. En revanche ce matériau est sensible aux rayonnements ultraviolets, et sa température de transition vitreuse est de l’ordre de 70°C.
Le Kapton possède une température de fusion supérieure, d’environ 400°C, ainsi qu’une meilleure résistance aux radiations. Des films de 7,5 µm d’épaisseur peuvent aujourd’hui être produits (Dupont General Specifications), et pourraient un jour atteindre 2,5 µm.
3.2 – La couche réfléchissante
Cette couche fine réfléchissante – d’environ 0,1 µm d’épaisseur – peut être déposée sur le substrat par sublimation d’un métal tel que l’argent, le lithium ou l’aluminium.
L’aluminium offre le meilleur compromis entre masse volumique, réflectivité (de 0,88 à 0,9), tenue aux températures élevées (point de fusion à 660°C) et tenue aux radiations.
3.3 – La couche d’évacuation de la chaleur
La couche d’évacuation de la chaleur est déposée sur le substrat selon le même principe, avec un métal possédant une bonne émissivité, tel que le fer ou le chrome.
Les projets de la NASA ou de l’ESA se sont basés sur l’utilisation du chrome, plus léger et d’une émissivité infrarouge de 0,64.
4 – Familles d’architectures.
4.1 – Configurations de voiles
Nous avons vu précédemment que la voile doit être plane afin d’optimiser sa réflexivité. Elle doit par ailleurs être dotée d’un système de contrôle d’attitude assurant sa manœuvrabilité. Ceci conduit à définir deux grandes familles de voiles, auxquelles seront associées différentes techniques de déploiement :
-Voiles non spinnées
Ce type de voile est basé sur le principe du cerf-volant ou de la voile classique d’un bateau, utilisant des mâts rigides ou semi-rigides.
-Voiles spinnées, Disques, Hélices, Héliogyros
La solution alternative consiste à maintenir déployée la voile grâce à la force centrifuge obtenue par rotation autour d’un axe central. Aucun mat n’est alors nécessaire, la contrepartie de cette solution étant l’effet gyroscope produit par la rotation, impliquant une plus grande stabilité de la structure, donc une manœuvrabilité moindre que celle d’une voile non-spinnée.
La voile pourra être mise en rotation par son transporteur, avant la phase d’éjection et de déploiement.
Le concept de voile spinnée a été envisagé dès les années 50 avec l’Héliogyro, composé de « lames » de plusieurs dizaines – voire centaines – de mètres de long.
4.2 – Mécanismes de déploiement
4.2.1 – Déploiement par force centrifuge
Dans ce cas, la voile tire profit de sa mise en rotation pour lentement effectuer son déploiement grâce aux forces exercées sur des masses disposées aux extrémités de la voile.
Le miroir solaire russe Znamia a été le premier à utiliser ce principe, et plus récemment le voilier japonais Ikaros.
4.2.2 – Stabilisation par des mâts
–Mâts Gonflables
Les mats gonflables sont déployés par injection de gaz ou déclenchement de la polymérisation de composés chimiques à l’intérieur des tubes – cette dernière solution permettant de conserver la rigidité de la structure après déploiement, sans nécessiter l’injection permanente de gaz pour compenser d’éventuelles micro-fuites.
-Déploiement motorisé
Un système motorisé permet de dérouler des mâts semi-rigides de type « mètre ruban ».
-Déploiement par effet ressort
Lors du pliage et du confinement de la voile, un système de ressort précontraint permet le déploiement de la voile dès l’ouverture de la capsule.
-Déploiement à l’aide de matériaux à mémoire de forme
La technologie des matériaux à mémoire de forme ouvrent des possibilités nouvelles, leurs propriétés plastiques permettant d’optimiser le confinement lors du lancement, puis le développement de la structure lors de la phase de déploiement.
5 – Identification des sous-systèmes génériques.
Outre la voile proprement dite, le voilier solaire embarque les sous-systèmes standards d’un satellite ou d’une sonde spatiale :
-Noyau de base,
-Systèmes de déploiement de la voile,
-Production d’énergie (batteries, cellules solaires),
-Télécommunications,
-Contrôle d’attitude (ex. : gouvernes, surface à indice de réfraction variable contrôlé électriquement de type Ikaros, …),
-Systèmes de télémétrie,
-Informatique embarquée.