Navigation et missions

 Rédacteur : Jean-Yves Prado
Dossier réalisé par : O.Boisard, B.Charles,
A.Delehelle, G.Pignolet et JY. Prado.

1 – Aspects liés à la navigation des voiles solaires

1.1 – Principes généraux de la navigation spatiale

1.1.1 – Les forces en jeu

Tout objet naturel ou artificiel, en orbite autour d’un corps principal, est soumis à deux catégories de forces qui déterminent sa trajectoire :

  • Les forces gravitationnelles : dans le cas général, on considère une force principale due à l’attraction du corps autour duquel orbite l’objet et, considérées comme des perturbations, les forces exercées par l’attraction gravitationnelle d’autres corps du système solaire.

• Pour l’orbite d’un satellite terrestre, on considère l’attraction de la Terre comme force principale et selon les objectifs de précision recherchés, la Lune et le Soleil comme éléments perturbateurs.

• Pour une orbite héliocentrique, on pourra être amené à prendre en compte l’attraction des différentes planètes du système solaire, voire des plus gros astéroïdes comme force de perturbation

L’attraction gravitationnelle d’un corps sur un autre ne dépend que de la distance entre eux (au carré) et de leurs masses respectives. L’orbite suivie ne dépend en rien des caractéristiques (masse, surface etc.) de l’objet lui-même.

  • Les forces d’origine non gravitationnelle : la nature de ces forces est plus vaste et leur prise en compte dépend du contexte de mission envisagé :

• Forces de freinage atmosphérique pour les objets en orbite autour d’un corps entouré d’une atmosphère

• Forces créées par une pression de radiation. Celles-ci peuvent avoir plusieurs origines :

    • Pression de radiation directe. Il s’agit principalement de la pression photonique solaire précédemment décrite. C’est l’utilisation de cette force à des fins de navigation qui sera ensuite approfondie.
    • Pression de radiation rétrodiffusée. La Terre éclairée par le Soleil en réfléchit une partie vers l’espace. Cette proportion est fonction de l’albédo, très variable selon la nature de la surface terrestre vue par le satellite (nuages, neige, terre, océan, …).
    • Pression de radiation d’origine thermique ou effet Yarkovsky. Le refroidissement d’un corps par rayonnement (principalement en infrarouge) vers l’espace est source d’une pression de radiation. Cet effet est à prendre en compte si l’on s’intéresse à des missions de géodésie ou, pour les corps naturels, à l’orbite d’une classe intermédiaire d’astéroïdes (diamètre de quelques dizaines de mètres à quelques kilomètres).

1.1.2 – La navigation

Naviguer dans l’espace, c’est la capacité de modifier la trajectoire naturelle d’un objet complètement déterminée par les forces citées ci-dessus en lui appliquant une force supplémentaire pour obtenir une nouvelle trajectoire conforme à l’objectif recherché.

On peut noter qu’appliquer une force artificielle, ou réduire voire supprimer une force naturelle, revient strictement au même du point de vue dynamique.

Depuis l’origine de l’ère spatiale, le contrôle d’orbite des satellites s’est principalement effectué par l’utilisation de la propulsion chimique ou électrique. Une voile solaire est un moyen alternatif de modifier l’orbite d’un objet en utilisant la pression photonique pour créer une accélération qui vient se combiner à l’ensemble des autres accélérations (essentiellement gravitationnelles) pour, appliquée pendant une période donnée, créer une variation de vitesse ΔV.

L’incrément de vitesse ΔV est un vecteur. Il se caractérise donc par son module et sa direction dont le contrôle précis permettra d’obtenir une modification d’orbite déterminée. S’ensuivent directement les critères de performance d’une voile :

• son efficacité, traduisant l’accélération maximale qu’elle est capable de produire,

• sa manœuvrabilité, caractérisant le domaine de directions dans lesquelles le vecteur ΔV peut être pointé et le temps nécessaire pour passer d’une direction à une autre,

• la précision de commande, qui traduit la précision avec laquelle le ΔV réel correspond à la fois en module et en direction à la consigne de pointage requise pour le suivi de la loi de pilotage choisie.

1.1.3 – Détermination de l’orientation optimale de la voile

Établir une stratégie de navigation, c’est déterminer en fonction du temps la loi de pointage par rapport au Soleil de la normale à la voile, donc l’évolution dans le temps de deux angles appelés en anglais cone ou pitch angle (angle entre la normale à la voile et la direction du Soleil) et clock angle (angle de phase par rapport à une direction de référence, en général parallèle au plan de l’écliptique pour une orbite héliocentrique, au plan de l’équateur pour une orbite circumterrestre).

Idéalement, la loi optimale (en général par rapport au critère de durée de mission minimum) est une loi continue en fonction du temps. Pour tenir compte des conditions réelles d’une mission, on peut être amené à retenir une loi de pointage sub-optimale par exemple pour réduire le nombre de manœuvres, tenir compte de limites opérationnelles (champ de vue de senseurs solaires ou orientation d’éléments de la voile), distances à la Terre et/ou au Soleil…

1.1.4 – Les critères de performance d’une voile solaire : Efficacité

Les premières réflexions sur les voiles solaires étant le fruit d’équipes indépendantes, il en existe plusieurs définitions :

• rapport S/M où la surface est exprimée en mètres carrés et la masse en kilogrammes du voilier solaire complet. Cet indice caractérise l’objet lui-même. L’accélération produite dépend de la distance au Soleil. Plus cet indice est élevé, plus les performances sont potentiellement grandes.

• Le coefficient de charge σ exprimé en grammes par mètre carré, est un indice équivalent au précédent qui varie en sens inverse.

• L’accélération caractéristique ac est, exprimée en millimètre par seconde carrée, l’accélération maximale obtenue à une unité astronomique du Soleil (au niveau de l’orbite de la Terre). Cette unité est peu pratique car elle ne caractérise ni l’objet ni l’accélération à une distance différente de 1 UA, mais les anglo-saxons en sont friands.

• Enfin, la poussée photonique variant, de même que l’attraction gravitationnelle, comme l’inverse du carré de la distance au Soleil. Ce rapport est constant pour un voilier donné dans tout le système solaire. Il est appelé astucieusement «lightness number», λ, évoquant à la fois la luminosité et la légèreté. Son utilisation n’est réellement pratique que lorsqu’il s’approche de l’unité, ce qui le confine à des missions qui sont aujourd’hui hors de notre portée technologique.

Équivalences :

S/M = 1000/σ

ac = 9.12/σ = 9.120×10-3 ×(S/M)

λ = ac/5.77, l’attraction gravitationnelle du Soleil valant 5.77 mm/s2 au niveau de l’orbite terrestre

Tableau illustrant la correspondance entre les différents indicateurs de performance pour une voile ayant une capacité d’accélération de 1% de l’attraction gravitationnelle du corps central :

indicateurs de performance pour une voile

On conclut de ce tableau qu’une voile solaire ne peut trouver d’applications utiles que pour des trajectoires héliocentriques, à quelques exceptions près que l’on verra plus loin.

Exemples pour quelques projets :

Exemples pour quelques projets

1.2 – Moyens de manœuvre

1.2.1 – Manœuvrabilité

L’accélération due à la poussée photonique s’exerce perpendiculairement à la voile. Cette accélération, intégrée pendant un temps donné, vient se combiner au vecteur vitesse du voilier.

Selon la mission considérée, on peut être amené à effectuer des manœuvres, éventuellement en continu, pour jouer sur le vecteur vitesse.

On peut distinguer trois niveaux d’exigence de manœuvrabilité :

auto stable : pointage en permanence vers le Soleil – ce mode de fonctionnement a pour effet de réduire l’attraction gravitationnelle du Soleil par l’accélération photonique. Ce type de pointage est relativement simple : il suffit de choisir pour la voile une forme autostable, par exemple en lui donnant la forme d’un dièdre. Les couples photoniques sont alors suffisants pour que la voile soit en permanence pointée vers le Soleil.

lentement variable : pointage évoluant lentement selon une loi de guidage donnée. L’angle de la normale à la voile par rapport au vecteur vitesse est une fonction spécifique du temps, déterminée par des calculs d’optimisation. Par exemple, la valeur la plus efficace pour spiraler vers l’intérieur (respectivement l’extérieur) d’une orbite initialement circulaire est de 35° de manière à maximiser la réduction (resp. l’augmentation) du vecteur vitesse. Le voile doit donc avoir la capacité de pointer une direction faisant un angle donné avec la direction du Soleil. La rapidité d’exécution nécessaire sur une orbite héliocentrique est de l’ordre du degré par jour.

agile : variation rapide de la loi de pointage – plus la période de l’orbite est courte (cas des orbites terrestres par exemple, pour lesquelles la période orbitale est de quelques heures à quelques jours pour les plus lointaines), plus le suivi d’une loi de guidage donnée sera exigeante en matière de rapidité d’exécution.

1.2.2 – Précision

La navigation spatiale est un exercice de précision. Pour modifier une orbite, il faut s’assurer que l’incrément de vitesse que l’on apporte à un instant donné est correct en intensité (ou module) et en direction.

Le module de la poussée photonique n’est pas constant en fonction du temps. Aux courtes périodes, une voile peut présenter des défauts permanents de planéité, des plis, des ondulations qui feront que le vecteur accélération résultant sera plus ou moins variable et que, au mieux, c’est sa valeur moyenne sur une période donnée qui sera conforme à la consigne de pilotage. Sur les durées plus longues la réflectivité peut se détériorer, en particulier sous l’action du rayonnement solaire en ultraviolet qui affectera le matériau de la voile.

Il est donc nécessaire, dans toute étude de mission, de prévoir une marge pour compenser la perte d’efficacité qui sera rencontrée dans la réalité. En général, un coefficient de 15% par rapport aux performances idéales est adopté.

Ce critère de précision n’est pas indépendant du précédent : il est d’autant plus à considérer que l’exigence de manœuvrabilité est forte.

1.3 – Cas de la navigation en orbite terrestre.

En orbite autour de la Terre, un objet passe environ une moitié de l’orbite à aller vers le Soleil et l’autre moitié à lui tourner le dos.

navigation en orbite terrestre

Si l’on veut gagner de l’altitude à l’aide de la pression photonique, ce qui a priori est le but recherché, il faut donc pendant une moitié de l’orbite orienter la surface de la voile parallèlement à la direction solaire et orthogonalement pendant l’autre moitié. Ceci oblige à effectuer une manœuvre de réorientation de près de 90° deux fois par orbite donc environ une fois par heure pour une orbite de quelques milliers de kilomètres d’altitude.

attitude determination and control system for Lightsail-1

Ref Initial Design and simulation of the attitude determination and control system for Lightsail-1 M. Nehrenz et al. ISSS-2010

1.4 – Cas de la navigation interplanétaire.

Pour une accomplir une mission donnée (par exemple rejoindre une planète intérieure), il faut rechercher l’orientation optimale de la voile par rapport au Soleil. Cette recherche d’optimum consiste en général à minimiser la durée de mission mais ce peut être également de réduire au minimum le nombre de manœuvres de la voile (référence G. Mengali)

2 – Missions de référence associées à la propulsion photonique.

Le symposium ISSS-2010 (International Solar Sailing Symposium) qui s’est tenu à New-York en juillet 2010 a été l’opportunité de faire le point sur différents concepts de missions. Le symposium s’est terminé par l’adoption d’une résolution dont la version française sera développée en conclusion de ce rapport.

Les différentes missions brièvement décrites dans ce qui suit sont soit des missions qui ont fait l’objet d’études de l’U3P ou de ses partenaires, soit des missions pour lesquelles il existe des publications ou des présentations à des conférences, en particulier à ISSS-2010.

L’ordre de présentation choisi est de partir des missions proches de la Terre pour aller progressivement vers les étoiles. L’ordre chronologique n’est pas respecté.

2.1 – Missions proches de la Terre

Jusqu’à une altitude de plusieurs milliers de kilomètres, l’atmosphère terrestre résiduelle est prépondérante devant la poussée photonique. De plus, un retournement de près de 90° est nécessaire deux fois par orbite. Il n’est donc pas envisageable d’utiliser de voile solaire dans un objectif utilitaire à moins de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de la Terre.

C’est pour cette raison que la ligne de départ de la course Terre-Lune avait été fixée à l’orbite géostationnaire, ce qui présentait de plus des conditions de visibilité optimales pour les phases cruciales de déploiement.

Les voiles de la banlieue terrestre ne seront donc que des démonstrateurs technologiques, symboliques ou événementiels.

2.1.1 – Technologiques

o Znamia
o Spartan
o Cosmos 1 et 2
o Lightsail
o Nanosail D

2.1.2 – Symbolique et artistique

o ARSAT

2.1.3 – Événementiels

o Course Terre-Lune
o Tour Eiffel de l’Espace
o COLUMBUS 500

2.1.4 – Complément : la position des astronomes

Dans le passé, certains astronomes se sont vigoureusement élevés contre le principe même «d’utiliser le ciel» pour des activités ludiques ou commerciales. Des études de visibilité faites dans les années 80 par la Société d’Astronomie de Toulouse, il ressort que le temps de passage d’une voile dans le champ de vue d’un télescope est très bref. La région d’éclairement d’une zone terrestre par un objet réfléchissant situé au minimum à un millier de kilomètres est vaste, le flux reçu par un instrument optique étant largement insuffisant pour en détériorer le détecteur, et ne restant que la possibilité réelle de perdre quelques secondes de données. Ceci est à comparer avec les passages évidemment de plus en plus nombreux des satellites en orbite basse, moyenne (Iridium) et de la station ISS.

2.2 – Missions aux frontières de l’environnement terrestre

Plus loin de la Terre tout en restant à l’intérieur de sa sphère d’influence, les voiles solaires permettent d’accéder à des missions peu ou moyennement exigeantes en ΔV et en manœuvrabilité.

2.2.1 – Geosail

Il s’agit d’une mission scientifique d’étude in-situ de la queue de la magnétosphère. Une mission japonaise (Geosail) a montré l’intérêt de disposer de mesures plasmas dans cette région située, côté antisolaire, à plusieurs rayons terrestres d’altitude. Une orbite classique, forcément très excentrique, ne permet pas de rester dans la région d’intérêt pendant plus de quelques mois consécutifs, la ligne des apsides étant quasi inertielle. L’idée de Geosail est de forcer une rotation continue de la ligne des apsides de manière à ce qu’elle suive la direction antisolaire. Cette mission est prise en compte à l’ESA.

2.2.2 – Pole Sitter

Une orbite géostationnaire au dessus des pôles pour compléter la couverture météorologique des régions polaires. Une polémique sur la faisabilité même d’une telle orbite a opposé l’ESOC aux promoteurs de cette idée.

2.3 – Missions vers les points de Lagrange

Une manière imagée de comprendre les points de Lagrange instables du système Terre-Soleil (le phénomène est plus complexe pour L4 et L5) est de considérer que la Terre et le Soleil étant du même côté (L2 et L3), ou opposés (L1), les forces gravitationnelles s’ajoutent (L2/L3) ou se retranchent (L1). Tout se passe donc comme si le Soleil était plus massique (L2/L3), ou moins massique (L1). Il suffit alors d’appliquer la 3ème loi de Kepler avec un  solaire plus élevé ou réduit pour retrouver des orbites traditionnelles, mais décalées. Si on remplace l’attraction de la Terre par la poussée photonique, on peut créer des points de Lagrange artificiels, L1* plus près du Soleil que L1 et L2* plus près de la Terre que L2. Cette idée a simultanément donné lieu, pour L1*, à deux scénarios de mission (Vigiwind, actuellement Geostorms) de type « météo de l’espace ». En amont de la Terre par rapport au vent solaire, des mesures in-situ de flux de particules et des caractéristiques (intensité, orientation) du champ magnétique interplanétaire permettent d’anticiper plusieurs heures à l’avance certaines perturbations géomagnétiques. C’est actuellement une fonction remplie par SOHO et ACE (Advanced Composition Explorer, tous les deux en L1). Ces satellites sont en fin de vie. Leur successeur pourrait être une voile solaire.

2.4 – Missions vers les planètes internes, petits corps et comètes

Bien que cela puisse paraître paradoxal, une force répulsive (la poussée photonique) peut être utilisée pour se rapprocher du corps qui en est l’origine, le Soleil. Il suffit pour cela d’orienter la voile de manière à ce que le ΔV produit ait une composante le long du vecteur vitesse en sens opposé. Le voilier peut ainsi spiraler vers l’intérieur du système solaire. Si la composante est dans le même sens que la vitesse, le voilier va spiraler vers l’extérieur.

Spirale intérieure extérieure 1
Spirale intérieure extérieure 2
Spirale intérieure extérieure 3

Les premières missions planétaires, russes et américaines, ont été limitées à des survols sans mise en orbite autour de la planète, du fait des technologies de l’époque. Toutes les planètes ont aujourd’hui été visitées. La poursuite de l’exploration planétaire exige désormais au minimum une mise en orbite et le plus souvent un atterrissage, en attendant l’époque où le retour d’échantillon sera une figure obligée.

Ces missions exigent des masses importantes, une excellente précision sur le contrôle d’orbite et, surtout, un freinage quasi instantané pour se mettre en orbite autour d’une planète ou rentrer dans son atmosphère. Ces exigences jouent en défaveur des voiles solaires.

On peut néanmoins imaginer quelques cas d’utilisation, par exemple pour livrer sur une planète des objets indispensables à une exploration humaine (médicaments, équipements spécifiques … ).

Les petits corps (astéroïdes, comètes) peuvent constituer des cibles pour des missions particulières, par exemple avec le dépôt de réflecteur laser pour en suivre l’orbite, ou de package instrumental de sismologie.

2.5 – Mission de sortie de l’écliptique

La seule mission scientifique ayant survolé les pôles solaires est la mission Ulysse de l’ESA (1990-2008). Cette sonde n’ayant à son bord que des instruments de mesure du plasma et des récepteurs radio, la frustration des physiciens solaires est grande de ne pas avoir eu d’images des régions polaires. Régulièrement (proposition Cosmic Vision), reviennent des propositions de mission hors écliptique à l’aide de voiles solaires compte-tenu de l’importance du ΔV nécessaire si l’on souhaite éviter un passage par Jupiter (pour utiliser son assistance gravitationnelle).

2.6 – Missions de réduction de la période orbitale d’une sonde solaire

Les premières études de missions de sondes solaires remontent à la fin des années 50, avant même la création de la NASA. Jusqu’au schéma « moderne » Solar Probe Plus, inspiré de Solar Orbiter (succession d’assistances gravitationnelles de Vénus pour réduire l’altitude du périhélie jusqu’à moins de 10 rayons solaires), le schéma des missions Solar Probe comportait invariablement une assistance gravitationnelle de Jupiter pour ensuite littéralement plonger vers le Soleil. Par rapport au schéma de mission Solar Probe Plus, un passage par Jupiter permet de choisir librement le plan de l’orbite (et en premier lieu permettant le survol des pôles du Soleil) et le rayon de périhélie (4 Rayons solaires jusqu’à Solar Probe Plus). En revanche, la période orbitale est très grande (comme pour la mission ESA Ulysse). Utiliser une voile solaire lors de la première descente vers le Soleil après le swingby de Jupiter permettrait de réduire la période orbitale finale. La voile serait en permanence pointée vers le Soleil.

2.7 – Missions de sortie du système solaire

Encore un paradoxe, il faut d’abord se rapprocher du Soleil pour mieux s’en éloigner ensuite…

Le schéma de mission est d’utiliser une voile de 245 mètres de côté d’accélération caractéristique voisine de 1mm/s2 qui dans un premier temps se rapprocherait aussi près que possible du Soleil (0.25 UA visé) et ensuite partirait radialement jusqu’à une vitesse de 15 UA par an. La voile serait larguée au niveau de l’orbite de Jupiter.

Ref Interstellar Heliopause Probe- Design of a challenging mission to 200 AU M. Leipold et al ISSS-2010

2.8 – Missions d’arrêt dans le système solaire

Si l’on imagine les futures générations de voiles solaires, on peut supposer qu’elles seront fabriquées dans l’espace (cf. Eric Drexler), soit de manière robotisée, soit par des opérateurs humains. N’ayant plus à passer par les épreuves du lancement ni du déploiement, un ou deux ordres de grandeur pourront être gagnés en performance. Pour la réalisation, on pense à un dépôt de couche métallique ultra fine qui s’accroche à un filet, sans aucun substrat. Le filtre d’entrée de l’instrument d’EIT sur SOHO (quelques cm²) est basé sur cette technologie.

Lorsque l’indice de légèreté dépasse l’unité, la poussée photonique excède l’attraction gravitationnelle du Soleil. On peut ainsi accéder à des trajectoires atypiques (ex. : orbite dégénérée en ligne droite).

2.9 – Voyage interstellaire Icarus

Difficile de ne pas imaginer d’utiliser une voile solaire pour rendre visite à de lointaines planètes extraterrestres. Quelques réflexions sur ce sujet ont été publiées (Matloff, Vulpetti)

Par exemple : G. Vulpetti, L. Johnson, G. L. Matloff, Solar Sails: A Novel Approach to Interplanetary Flight, Springer, August 2008, ISBN 978-0-387-34404-1

3 – De l’autre côté de la voile

Toutes les idées de mission décrites jusqu’ici ont en commun de considérer une voile solaire comme un réflecteur aussi parfait que possible, à des fins de navigation. Mais à l’inverse, s’intéressant au «cône d’ombre» produit par un voilier, d’autres applications originales peuvent être envisagées. Une d’entre elles est évidemment de refroidir la surface d’un corps ainsi mis dans l’ombre.

Deux propositions de ce type ont été développées par l’U3P, en réponse à des appels à idées de la Planetary Society :

3.1 – Un moucharabieh pour refroidir la Terre …

Interposer entre le Soleil et la Terre un écran suffisamment large pour intercepter une partie significative (quelques millièmes) du flux solaire est une méthode simple dans le principe de limiter le réchauffement climatique. La surface nécessaire pour cela, supposée placée au voisinage du point de Lagrange L1 du système Terre-Soleil, est d’environ 1 million de kilomètres carrés (2 fois la France). Aucun lancement traditionnel ne peut raisonnablement être envisagé (100 tonnes par jour pendant 30 ans…). Cette situation pourrait changer le jour où un ascenseur spatial sera disponible. L’U3P a répondu par une idée de scénario sur ce thème à un concours organisé par la Planetary Society en 2005). A noter qu’un lieu particulièrement intéressant pour ancrer l’ascenseur spatial est dans l’océan Pacifique l’atoll de Clipperton, sous pavillon français. Les raisons principales sont proximité de l’équateur, conditions météorologiques favorables (faibles statistiques orageuses), absence absolue de présence humaine dans un rayon de 3000 kilomètres, situation excellente par rapport à l’arc géostationnaire (point stable de l’orbite géostationnaire, l’autre étant à la verticale du Sri-Lanka).

Selon le Numéro hors série août-septembre 2010 de la revue ‘Diplomatie’, il y aurait actuellement au CNES des travaux sur ce sujet.

3.2 – Suppression de l’effet Yarkovsky pour dévier la trajectoire d’astéroïdes

L’effet Yarkovsky est un effet thermique dû au refroidissement de la surface d’un corps en rotation : le maximum de rayonnement infrarouge se produit dans une direction de la direction du chauffage (direction du Soleil) du fait de la rotation du corps. Il s’ensuit un effet de pression photonique donc une accélération avec une composante alignée avec le vecteur vitesse. Selon le sens de rotation du corps, cet effet va produire un incrément ou un décrément de la vitesse donc un effet de spirale vers l’intérieur ou l’extérieur de l’orbite non perturbée.

Cet effet est connu depuis la fin du 19ème siècle. Il a été mis en évidence sur l’astéroïde Golevka (ref. Chesley et al. Science 2003) et est sensible pour la classe d’astéroïdes de diamètre de quelques dizaines à quelques centaines de mètres.

D’un point de vue de la mécanique spatiale ajouter une force perturbatrice artificielle ou supprimer (ou réduire) une force naturelle équivalente est équivalent. On peut donc en réduisant ou supprimant l’effet Yarkovsky s’exerçant sur un astéroïde géocroiseur en particulier modifier ainsi sa trajectoire. Pour supprimer cet effet thermique, il suffit de refroidir l’astéroïde en le mettant à l’ombre. L’U3P a répondu à un appel à idée organisé en 2007 par la Planetary Society sur le thème de la déviation de l’astéroïde Apophis qui passera très près de la Terre (moins de 40.000 km d’altitude) le 13 avril 2029.

exigences de performances

Tableau récapitulatif des exigences de performances pour quelques missions de référence

4 – Conclusion.

Les experts internationaux réunis pour le 2ème symposium ISSS en 2010 ont unanimement reconnu les progrès marquants réalisés dans la technologie des voiles solaires ( Technology Readiness ) depuis le premier symposium qui s’était tenu à Ammersee en Allemagne en 2007.

Il a été confirmé par des essais en vol dans l’espace profond que la technologie des voiles solaires est viable pour des opérations spatiales. De nombreuses applications importantes pour les voiles solaires ont été identifiées qui peuvent être mises au service de la communauté scientifique mondiale. Il est maintenant vital que cette communauté d’utilisateurs soit approchée le plus rapidement possible pour qu’elle soit en mesure de bien comprendre les possibilités offertes par la technologie des voiles solaires et qu’elle puisse en soutenir le développement.

Principales réalisations

La première voile solaire de l’histoire, le voilier japonais IKAROS (environ 200 m²), construit par une équipe du Centre d’Exploration Spatiale de ISAS/JAXA (JSPEC), a été injecté dans l’espace interplanétaire au cours de l’année 2010. Il s’est déployé avec succès et a fait la première démonstration effective de propulsion par la poussée photonique.

Prochaines étapes (Missions en cours de développement) :

– Des gouvernements, des institutions académiques et des organisations privées sont en train de développer plusieurs systèmes de petites voiles solaires (environ 10 à 25 m2) pour des validations en vol au cours des prochaines années. En particulier :

* The Planetary Society Lightsail-1,

* NASA NanoSail-D2 – dont le déploiement a été confirmé en janvier 2011,

* Université du Surrey CubeSail et DEORBITSAIL,

* CU Aerospace Cubesail,

* Deutsches Zentrum fur Luft-und Raumfahrt/Agence Spatiale Européenne Gossamer-1,

* Air Force Research Laboratory’s FURL.

– La JAXA va continuer à analyser et évaluer les données de vol du voilier IKAROS.

Les participants du 2ème symposium ISSS ont recommandé une accélération du développement et des essais en vol dans l’espace pour les technologies des voiles solaires, dans l’objectif de parvenir à une capacité fiable et robuste permettant à l’avenir l’organisation révolutionnaire de missions scientifiques, exploratoires, et finalement, opérationnelles.